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dimanche 21 janvier 2018

La mort, etc. (2)


"Moi, dit Louiselle, 5 ans et demi, je serai invitée à ton enterrement, Maman. Mais toi, tu ne seras pas invitée au mien. Parce que tu seras déjà morte.

- Ben, oui, rétorque Antonin, 7 ans. D'abord, ce sont Papy et Mamie qui vont mourir, parce que ce sont les plus vieux. Ensuite, ce sera Mamayou, puis Papa, puis toi, puis moi et Louiselle en dernier."

"Sauf si, ajoute-il après une légère pause, on meurt d'accident ou de maladie".

Le ton de la conversation est badine, et mes enfants sont loin de réaliser le gouffre d'angoisse qui, dans le monde des adultes, réside dans ce "sauf si". Puisqu'on meurt lorsqu'on a fini sa vie, l'ordre des décès est régi par un algorithme rigoureux - décalque logique de l'ordre des naissances. 

Mes enfants parlent de la mort très souvent - nous avons sur le sujet une belle discussion hebdomadaire, au moins. L'absence totale d'inquiétude qu'elles contiennent n'est pas sans m'émerveiller... 

Il faut dire qu'à la campagne, la mort est partout. Chaque petit cadavre découvert est l'occasion d'un vrai chagrin - et d'une forte impression. Le regard des morts, en particulier, a quelque chose qui ne trompe pas. "Un mort, c'est un mort, dit Antonin, ça se voit tout de suite." "Est-ce qu'on meurt toujours les yeux ouverts ?" demande Louiselle ? Il semblerait que oui. Et puisque je n'ai pas encore le cran de fermer les paupières figées des tourterelles, campagnols et lézards, nous les enterrons ainsi. Yeux dans les yeux.

Car la mort est aussi l'occasion d'une authentique joie : l'enterrement ! Notre jardin se couvre de tombes dérisoires, creusées et décorées par les enfants. Ils savent exactement où repose qui, et se souviennent de chacun.

Pendant ce temps, les adultes font de leur mieux pour ne pas écrabouiller les frêles croix de bois et se réjouir de vivre parmi tant de bons esprits.

Veillez sur nous, petits fantômes de nos jardins ! 🙏

P.S. Il y a deux ans, j'écrivais déjà un article sur la manière dont mes enfants, 3 ans et demi et 5 ans alors, abordaient la mort. S'il vous plait de le (re)lire, il est ICI.

dimanche 14 janvier 2018

Une année pour donner envie d'apprendre


Ça y est, la date de parution de mon deuxième livre est arrêtée ! 😄 

Cela me fait un peu drôle, car dans les faits, les textes sont encore dans mon ordinateur ... ou dans ma tête, car il me reste un petit quart à rédiger d'ici fin février. Vous pensez comme je suis en plein rush en ce moment ... et pas du tout en train de me réjouir à l'idée du produit fini ! 😄 

Lorsque je suis en phase d'écriture de livre, je me régale, mais je n'ai plus aucun temps libre. Deux métiers à plein temps, lorsque les journées ne font que 24 heures et qu'il y a "tout le reste" à gérer, c'est sûr : c'est dur. Pour que tout puisse rentrer (et en particulier, le temps consacré aux miens), on s'organise.

Le dimanche, par exemple, comme aujourd'hui qui s'achève, est synonyme pour moi d'une grosse journée de travail, puisque mon Homme peut gérer largement les enfants.  Nous prenons le petit déjeuner tous ensemble, puis je file écrire jusqu'à la fin de la matinée. Les enfants font de la musique ou des jeux avec leur Papa, lisent ou jouent librement. Je reviens faire à manger, nous passons à table, puis mon Homme emmène les enfants faire une très grande promenade jusqu'à l'heure du goûter, pour que je puisse travailler. Lorsqu'ils reviennent, je me rends disponible pour un jeu, une lecture partagée ... A 17h30, les enfants prennent leur douche (toujours supervisés par leur Papa), pendant que je lance le dîner. De 18h à 19h, c'est mon cours de musique hebdomadaire (mon Homme est mon professeur !), les enfants ont pour consigne de ne pas nous déranger et de jouer dans leur chambre. 19h, je termine rapidement le dîner, nous passons à table. Suit la toilette, la lecture et une petite séance de sophro avec les enfants (je vous en reparlerai), qui sont couchés à 20h30. Je me remets au travail jusqu'à ce que je m'écroule devant l'ordi. Mon homme essaie de m'attendre en travaillant son piano ou en regardant un film (avec casque dans les deux cas). C'est dense, mais l'essentiel est que chacun parvienne à passer du temps avec chacun. Le boulot, c'est important. Mais notre vie qui passe l'est encore plus !!! ❤️ 

Et ce livre, donc ?

Ce volume se consacre aux 6/12 ans, pour lesquels il n'existe pas grand chose, je trouve, en terme de pédagogie domestique. Au programme ici : Lecture, Écriture, Mathématiques, Sciences, Arts, Histoire et Géographie. Le tout en adéquation avec les pédagogies alternatives ludiques que j'utilise au quotidien. J'espère que vous aurez autant de plaisir que nous à réaliser les très nombreuses séances de ce gros gros livre et j'ai hâte de vous le faire découvrir plus avant ! 

Cela vaut bien quelques nuits blanches, non ? 😊   

dimanche 7 janvier 2018

{J'ai lu : } Manifeste pour la Terre et l'Humanisme


À chaque fois que je partage nos lectures pour enfant, il y a quelqu’un pour me demander : "Mais TOI, que lis-tu ?" Une sorte de pudeur m’empêche souvent de répondre à cette question – je n’aime pas trop raconter ma vie, en fait, et je trouve que nos lectures nous définissent … beaucoup, peut-être trop !😊

A tel point d’ailleurs qu’un livre est souvent une vitrine. Vous entrez dans un bar ? Posez votre roman en cours bien en évidence sur votre table, il sera un peu comme une étiquette. Beaucoup de gens le font pour cette raison, je pense, plus ou moins consciente. De même, sur les réseaux sociaux, on voit se multiplier des posts d’une simplicité extrême : une photo du livre en cours, sans aucun commentaire ou retour. « Je lis ça », est visiblement un énoncé qui se suffit à lui-même.

Je sais donc que si je partage mes lectures, je m'enferme, du même coup, dans une sorte de stéréotype de moi-même. C'est pourquoi j’ai réfléchi longtemps avant de me décider, mais je me dis que je n'ai pas grand chose à perdre à tenter la chose sur quelques mois. Quitte à tout arrêter si je commence à m'asphyxier moi-même. 😊

D'un autre côté, réaliser une synthèse de chaque lecture est un exercice intellectuel intéressant, et qui permet de garder trace. Il me semble que j'aurai plaisir à revenir à mes notes - parce que mes lectures tissent mon rapport au monde (et ma parentalité en particulier) au jour le jour. D’ailleurs, vous verrez, les 3/4 des livres que je lis concernent l’éducation de près ou de loin.😉

Ah, ça y est. Vous les voyez venir ? Stéréotype et Asphyxie.  
 
Tant pis. Hier, j'ai terminé :



J’aime bien Pierre Rabhi. Je crois qu’il est l’un des seuls penseurs de notre situation socio-économique à replacer le débat dans le cadre qui est le sien : le Cosmos. La partie de l’ouvrage intitulée « La Symphonie de la Terre » est à couper le souffle. Pour moi, c’est le genre de vision qui me fait du bien. Car enfin, mon seul réconfort dans le fait que l’Homme soit en train de se suicider (enfin, de suicider ses enfants) est de penser que l’Univers n’en a cure. Que les corps célestes continueront leur danse froide et glacée, silencieuse, à la fois d’une extrême paix et d’une extrême violence, et que l'Humanité ne leur fait même pas l’effet d’une piqûre de puce.

« On peut imaginer le regard des cosmonautes dirigé vers la sphère mère, suspendue dans le firmament comme un véritable joyau avec ses reflets, ses couleurs évanescentes à dominante bleue. On peut imaginer, mêlée à la satisfaction d’avoir accompli une prouesse jusque là inimaginable, une probable angoisse insidieuse dans le cœur des terriens. Car du point de vue où ils la considèrent, la planète Terre apparaît avec une évidence grave et lumineuse comme la seule petite oasis de vie dans un incommensurable désert astral et sidéral. (…) J’ai entendu dire que des cosmonautes russes et américains, réunis pour je ne sais quelle circonstance, éclairés par leur exceptionnelle expérience, s’affligeaient de l’inanité des querelles idéologiques, politiques, religieuses de l’espèce humaine dans le contexte d’une réalité qui devrait inspirer la solidarité la plus profonde et déterminée. » (p. 67-68)

(Tenter d’imaginer la course de notre planète dans l’espace est l’un de mes sujet de méditation favori, d’ailleurs. Et un des plus efficace, une sorte de méditation express, qui me recentre en quelques secondes chrono. Je ressens un grand coup de stress ? Pense au Cosmos, ma fille, pendant deux petites minutes. Ah, ces masses gigantesques de roche et de gaz lancées dans l’espace à toute berzingue... Puis reviens sur Terre : où ça, du stress ? Allons donc. Qu'est-ce qu'on est bien en place, sur le plancher des vaches ...😊)

Les écrits de Pierre Rabhi ne sont pas réjouissants. Mais ils ne sont pas tristes non plus. Sans doute grâce à cette hauteur de vue.

Pierre Rabhi se définit comme un paysan ; pour moi, il est avant tout philosophe. Ses pages sur la Conscience humaine comme reflet de la Beauté du monde, sa définition très poussée de l’Humanisme contemporain, tout cela le place dans une lignée de penseurs classiques et modernes - il en a d'ailleurs pleinement conscience et a lu ses classiques. 😊

Et l'éducation, dans tout cela ?

«  Dans l’ordre du possible constructeur d’humanisme, nous pouvons éduquer les enfants à la solidarité, au respect de la vie, à la gratitude, à la modération et à la beauté qui s’offre à profusion à notre admiration. On voit s’ériger des générations d’enfants qui faute d’un éveil à la vie sont réduits à n’être que des consommateurs insatiables, blasés et tristes. L’éducation ne semble pas prendre en compte les fantasques mutations du monde et la nécessité de préparer les générations à venir aux grands défis du temps présent. Une réforme profonde nécessiterait entre autres d’abandonner l’esprit de compétition pour la complémentarité et l’émulation, d’encourager le rapprochement avec la nature pour mieux la comprendre et la respecter, de réhabiliter le travail et l’intelligence des mains. » (p. 97)

L'éducation est bien sûr au cœur de la problématique humaine – l’a toujours été – et est présente, sous la plume de Pierre Rabhi, en filigrane, à chaque détour de phrase. Mais le paragraphe ci-dessus est le seul de l'ouvrage qui soit entièrement consacré à ce sujet, et l'un des seuls d'ailleurs qui offre des amorces de "solutions" pratiques.

Car à aucun moment l’auteur ne nous dit ce qu’il faut faire. Si vous cherchez des conseils sur la manière de mener votre vie, ce qu'il faut acheter, où il faut vivre, etc., passez votre chemin. Pierre Rabhi ne fait pas dans le "Faut qu'on/Y'a qu'à". Pierre Rabhi décrit, et dit : Voilà, tu sais maintenant. À vrai dire, tu le savais déjà. Tout le reste ne concerne que ta conscience.

« Par conscience, j’entends ce lieu intime où chaque être humain peut en toute liberté prendre la mesure de sa responsabilité à l’égard de la vie et définir les engagements actifs que lui inspire une véritable éthique de vie pour lui-même, pour ses semblables, pour la nature et pour les générations à venir. » (p. 11) 

Hein qu'c'est dur, la Liberté ... 😶

mardi 2 janvier 2018

Premier récit (avec un peu de grammaire dedans)


Une invitation/provocation, en pédagogie, ce n'est pas forcément une installation complexe. Parfois un tout petit changement dans l'environnement de l'enfant va l'amener à travailler différemment. La preuve chez nous, la semaine dernière. 😊

Lundi :

Je mets à disposition des enfants de toute petites chutes de papier à dessin que je rechigne à jeter. Elles mesurent entre 5 et 10 cm de côté et je ne vois pas trop qu'en faire. Je suis loin de me douter alors que ce petit bout de matériel va engendrer un grand projet. 😊

Ma première constatation, quelques heures plus tard, c'est que ça plait. Les deux enfants sont penchés sur le papier, ce n'est que conciliabules et éclats de rires. Antonin est armé d'un beau feutre à dessin chipé à son Papa. Ma foi, cela m'a tout l'air d'un chouette moment entre eux : les enfants sont dans leur délire - comme bien souvent, et j'avoue que je le remarque à peine, sur le coup. 

Mais quelques heures plus tard, en retrouvant les productions, je constate que ce format inhabituel a induit chez Antonin des dessins finement travaillés, détaillés, d'où il ressort une énergie rare (cf. illustration ci-dessus).

Nous décidons donc de coller immédiatement tous ces petits morceaux de dessins sur une grande feuille blanche, afin de les conserver dans notre port-folio. Antonin appose la date au dos de l'œuvre, fièrement, comme d'habitude (à l'aide de son dateur chéri, vous en ai-je déjà parlé ?).

Mardi :

Le dessin, bien sûr, traine. Il n'a pas été rangé tout de suite. Nous hésitons à l'afficher quelque temps quelque part - peut-être sur le réfrigérateur, ou dans la chambre d'Antonin. Il nous semble qu'il en vaut la peine, mais pour le moment, il traine.

Louiselle tombe dessus et s'y penche, se remémorant sans doute le bon moment de la veille, et se met à raconter les dessins de son frère. Soudain, quand on l'écoute, ils semblent tenus par une unité, un peu comme les vignettes d'une BD. Antonin et moi sommes attentifs, une idée se fait jour dans ma tête... Mais je préfère attendre un peu. De toute façon, il est l'heure d'aller dormir. 😊

Mercredi :

Je reprends la feuille - qui traîne toujours, et demande, un peu solennelle : "Vous vous souvenez de l'histoire que Louiselle racontait hier en regardant ce dessin ?". Moui. Ils se souviennent. Peut-être un peu. Pas bien. Bon, je déclare qu'on va essayer de coucher par écrit l'histoire que racontent ces chouettes dessins. Que je vais prendre leur récit en note, parce qu'on va commencer à écrire une histoire.

Comme très souvent dans cette situation de passage de l'oral à l'écrit, l'imagination des enfants semblent bridée. Ils essaient de formuler les images qui traversent, fulgurantes, leur imagination colorée. Mais ils y parviennent mal, et s'accrochent au figuratif : le dessin. Leur discours verse dans le descriptif : "Il y a un pirate ... et un escargot ... et une maison ....".

Pour l'adulte, il y a un côté un peu désespérant, que je connais bien pour l'avoir souvent éprouvé en classe : quoi ? Où est passée le récit foisonnant de la veille ? Mes enfants ne sont-ils même plus capables de produire des phrases ?

Je le sais bien : écrire est, depuis mon enfance, ma passion et ma croix. Je sais que ce n'est pas facile, oh ! Je sais que tout texte, aussi satisfaisant qu'il soit à l'état final, a d'abord émergé en l'état d'embryon. Une suite de noms. Par exemple.

Allons-y pour des noms. Ça tombe bien, Antonin sait parfaitement ce que c'est, un nom - et Louiselle a déjà rencontré cette notion à travers les travaux de son frère, elle ne lui est pas inconnue. Recueillons donc ces noms pour ce qu'ils sont : la condition de possibilité de notre histoire, notre point de départ.

J'attrape une feuille de papier et trace un beau tableau. J'intitule la première colonne "Noms" et je pose la question aux enfants : "Alors, redis-moi et j'écris. Qui est-ce, là, sur tes dessins ?". Je note, scrupuleusement, sans rien changer.


Je relis tout cela et conclus : "Voilà, tout ça, ce sont des noms. Notre histoire va parler de ces personnes et de ces objets. Maintenant, j'aimerai en savoir un peu plus sur eux. On va ajouter des adjectifs : tu vas me dire comment chacun de ces objet, chacun de ces personnages, est."

Et zou : "Il y a un pirate. Comment est-il, ce pirate ? - Méchant. Bien. Et ses amis, commet sont-ils ? - Méchants aussi. - Donc, j'écris "méchants". Et l'escargot ?". La deuxième colonne se remplit, et je termine en relisant le tout, sans commentaire : "Donc, on a : le pirate méchant, les amis du pirate méchants, un escargot gentil...".

"Super. Et maintenant, tu vas me dire ce qu'ils font. Je réserve une colonne pour les verbes, tu vois ?"


(N. B. En vrai ce sont des groupes verbaux plutôt que des verbes. Tant mieux, c'est plus riche)

Laissons tout cela décanter. De toute façon, il est l'heure d'aller dormir. 😊

Jeudi : 

Je reprends notre tableau : "Aujourd'hui, on va écrire notre histoire, celle à laquelle on travaille depuis plusieurs jours déjà". Je lis chaque ligne, à la suite, comme je le ferais de phrases. Puis je propose de me faire secrétaire : "Observe ton dessin, il va t'aider à raconter l'histoire. Moi, je note ce que tu me dis. "

La magie opère : Antonin est lancé. Loin d'être prisonnier de nos notes, il énonce un texte qu'il a eu le temps de mûrir. Il ne fait que deux phrases, me direz-vous. Mais elles sont fort complexes. De la prise de note à la production finale, le travail de l'auteur s'est accompli. In fine, nous sommes face à une histoire ... brève, mais construite. 😊


Le fait que je me fasse secrétaire et prenne en charge la copie du texte énoncé libère Antonin, qui a 7 ans depuis trois jours, d'une surcharge cognitive. Il se concentre sur la production, sans se soucier de l'encodage. Dans un second temps, il copie son texte fièrement sous ses dessins - ce qui explique l'absence d'erreurs orthographiques, inévitables à son âge en  situation de production libre.

Et moi, je suis heureuse de vérifier ce que je crois depuis longtemps : que la grammaire n'est pas une science désincarnée et glacée qui n'a été théorisée que pour enquiquiner les écoliers. Mais qu'elle est un outil merveilleux qui aide des hommes à structurer et à exprimer leurs idées. Et à écrire. 

Voilà donc où nous ont mené nos petites chutes de papier à  dessin ... Heureusement que je ne les ai pas jetées ! 😊